Introduction : la promesse dâun cheval gagnant
Quand le PMU a lancé Stables en 2023, le pari semblait presque trop beau pour échouer.
Un projet Web3 adossĂ© Ă une marque historique, une passion populaire (les courses hippiques), et une technologie Ă la mode (les NFT). Le tout sur fond dâun storytelling calibrĂ© : collectionner, jouer, Ă©changer et gagner.
Bref, une synthĂšse de ce que le Web3 promettait Ă lâĂ©poque : rendre lâinvestissement âfunâ et la collection ârentableâ.
Deux ans plus tard, la rĂ©alitĂ© a mordu les chevilles du rĂȘve. Stables ferme, les joueurs-investisseurs pleurent leurs chevaux numĂ©riques, et la plateforme rentre dans le club fermĂ© des expĂ©riences coĂ»teuses mais instructives.
LâĂ©chec nâest pas une fin : câest une dissection utile pour comprendre ce qui bloque encore dans la transition entre la finance, le jeu et la blockchain.
I. Le décor : de la piste aux pixels
Stables, câĂ©tait un concept hybride :
- des NFT représentant des chevaux de course ;
- une plateforme permettant de les acheter, Ă©changer et âfaire courirâ virtuellement ;
- une économie interne censée refléter la dynamique des courses réelles.
Le tout sâappuyait sur lâaura du PMU, institution historique du pari en France, et sur la vague post-Sorare : âsi ça marche dans le foot, pourquoi pas dans lâhippisme ?â.
Les débuts ont été spectaculaires :
6 666 NFT vendus en quelques jours Ă 99 ⏠lâunitĂ©.
Une levĂ©e implicite de plus de 650 000 âŹ, sans compter les fonds internes (entre 4 et 7 millions injectĂ©s).
Mais ce qui semblait un âcheval de course numĂ©riqueâ sâest rĂ©vĂ©lĂ© ĂȘtre⊠un pur-sang sans jockey.
II. Une erreur de conception stratĂ©gique : le mirage de la âgamification rentableâ
Le cĆur du problĂšme Stables nâest pas technique.
Câest structurel et philosophique.
Le projet a Ă©tĂ© pensĂ© comme un âjeu Web3â, mais financĂ© et gouvernĂ© comme une start-up centralisĂ©e.
Une contradiction interne qui a progressivement dĂ©stabilisĂ© lâensemble du modĂšle.
1. Le jeu sans joueur
Le premier piĂšge : croire quâun univers ludique suffit Ă fidĂ©liser.
Or, les utilisateurs du Web3 ne sont pas des joueurs au sens classique :
ils cherchent de la valeur, de la rareté, du rendement ou de la reconnaissance.
Le jeu, ici, nâĂ©tait quâun habillage.
Les mĂ©caniques ne reposaient pas sur des boucles dâinteractions ou sur un vĂ©ritable Ă©cosystĂšme Ă©conomique.
RĂ©sultat : lâintĂ©rĂȘt sâest effondrĂ© dĂšs que la nouveautĂ© sâest estompĂ©e.
2. La gamification du vide
Stables a fait lâerreur que beaucoup de projets Web3 commettent :
ajouter des couches de gamification sans structure économique tangible.
Des badges, des compĂ©titions, des NFT âplus raresâ, des visuels lĂ©chĂ©sâŠ
Mais rien ne venait connecter rĂ©ellement lâĂ©conomie numĂ©rique Ă un flux de valeur rĂ©el.
Le âjeuâ devenait donc un dĂ©cor pour une spĂ©culation Ă courte durĂ©e de vie.
Or, dans ce type de modĂšle, dĂšs que le volume de nouveaux entrants chute, le marchĂ© interne sâeffondre â et la confiance avec.
III. Le piÚge du token adossé
Le second facteur dâĂ©chec tient dans le choix Ă©conomique fondamental :
adosser lâĂ©cosystĂšme NFT Ă un token interne (ou du moins Ă une logique de valorisation spĂ©culative).
1. La double dépendance fatale
Lorsquâun NFT tire sa valeur :
- dâun marchĂ© interne peu liquide, et
- dâun token dont la valeur dĂ©pend dâune communautĂ© spĂ©culative,
alors on crée une double dépendance :
â Ă la performance du token
â Ă la croissance continue du nombre dâutilisateurs.
En clair, si la hype baisse, tout sâeffondre.
Câest le syndrome des âjeux Web3 Ă double tokenomicsâ : ils fonctionnent tant que tout le monde pense que tout le monde va continuer dâacheter.
2. Lâillusion de la valorisation continue
Stables â comme beaucoup de projets â a cru quâil suffisait dâattacher un NFT Ă une marque forte pour garantir une valeur perçue stable.
Mais un NFT ne tire pas sa valeur dâun logo ou dâune promesse de âjeuâ,
il la tire de son utilité économique, de sa rareté fonctionnelle, et surtout de sa capacité à générer des flux de valeur tangibles.
IV. Les signaux faibles ignorés : la communauté comme baromÚtre
Les utilisateurs avaient commencé à signaler des problÚmes dÚs 2024 :
- une absence de feuille de route claire ;
- des mécaniques de gains peu transparentes ;
- et surtout un dialogue Ă sens unique entre lâĂ©quipe et la communautĂ©.
Le 7 octobre 2025, la fermeture est annoncée.
Trois jours pour retirer ses fonds.
Un adieu brutal, symptomatique dâun projet plus corporate que communautaire.
Dans le Web3, la confiance collective est le carburant.
Stables, malgré ses millions, a roulé sans huile.
V. Les fondamentaux négligés : la création de richesse réelle
Le cĆur du dĂ©bat est lĂ :
đ Un NFT peut-il rĂ©ellement crĂ©er de la richesse sâil nâest adossĂ© Ă aucune valeur productive ?
Dans lâĂ©conomie rĂ©elle, un actif crĂ©e de la valeur sâil :
- génÚre un revenu,
- procure un service, ou
- reprĂ©sente une part dâun bien ou dâun flux rĂ©el.
Dans Stables, la richesse était symbolique et spéculative.
Les NFT reprĂ©sentaient des chevaux⊠mais ces chevaux nâĂ©taient ni liĂ©s Ă des rĂ©sultats sportifs rĂ©els, ni Ă des flux Ă©conomiques tangibles (paris, sponsoring, etc.).
Autrement dit : des jetons sans productivité.
La seule âvaleurâ Ă©tait celle attribuĂ©e par la communautĂ© â une valeur dâattention, pas une valeur Ă©conomique.
VI. Trois erreurs fondatrices du modĂšle Stables
- Absence de modÚle économique productif :
le projet dépendait de la spéculation initiale, sans créer de flux entrants réels. - Manque de transparence et de gouvernance participative :
la communautĂ© nâĂ©tait quâun public, pas un acteur. - Adossement Ă une institution rigide (le PMU) :
lâinnovation a Ă©tĂ© freinĂ©e par la lenteur dĂ©cisionnelle et la logique hiĂ©rarchique.
VII. Les pistes de résilience pour le Web3 post-Stables
1. Sortir du modĂšle âplay-to-earnâ
Le âjeu pour gagnerâ est un modĂšle toxique Ă long terme.
Il crée une économie pyramidale : les nouveaux entrants paient pour les gains des anciens.
La solution est dâĂ©voluer vers un modĂšle âplay-to-buildâ ou âearn-to-ownâ,
oĂč la valeur vient dâune activitĂ© productive, non dâun flux spĂ©culatif.
2. DĂ©connecter la valeur du token de la valeur de lâactif
Un NFT ne devrait pas dĂ©pendre de la valorisation dâun token.
Câest une erreur conceptuelle.
La valeur dâun actif doit ĂȘtre liĂ©e Ă :
- son utilité réelle,
- sa contribution Ă un systĂšme,
- sa capacité à générer des revenus en cycle fermé (ex. via une simulation économique ou une production tokenisée).
3. Redonner un sens économique à la collection
Un actif numĂ©rique peut ĂȘtre bancable sans ĂȘtre spĂ©culatif.
LâidĂ©e est de lier chaque NFT Ă un flux identifiable : Ă©nergie, production, dividende, performance, droit dâusage, ou participation Ă un modĂšle Ă©conomique tokenisĂ©.
La collection doit reflĂ©ter une activitĂ© Ă©conomique, pas la promesse dâun jackpot.
4. Repenser la gouvernance et la transparence
Les communautés Web3 exigent de la lisibilité :
- une feuille de route ouverte,
- un suivi des fonds,
- des indicateurs dâactivitĂ© clairs (volume, utilitĂ©, rendement).
Une plateforme qui dialogue avec ses utilisateurs devient auto-corrective.
Câest lâinverse du modĂšle Stables, oĂč la communication a Ă©tĂ© descendante jusquâau bout.
5. Penser âmacroĂ©conomie numĂ©riqueâ
Les projets Web3 ont besoin dâun cadre Ă©conomique global :
combien de tokens émis ? quelle politique monétaire ? quelle circulation interne des flux ?
Trop de projets fonctionnent sans écosystÚme économique structuré, créant des bulles internes.
VIII. Lâangle mort : la confusion entre âinnovation technologiqueâ et âmodĂšle Ă©conomiqueâ
Stables a démontré une chose :
intégrer la blockchain ne suffit pas à innover.
La blockchain nâest pas un business model, câest un infrastructure de traçabilitĂ© et de propriĂ©tĂ©.
Le modÚle économique doit exister en amont, avant le mint du premier NFT.
En voulant faire du Web3 un prolongement du gaming,
Stables a oubliĂ© que la blockchain est dâabord une technologie comptable,
pas une machine Ă rĂȘves.
IX. Les nouvelles voies : vers des écosystÚmes tokenisés productifs
Lâavenir des projets Web3 rĂ©side dans une approche plus macroĂ©conomique et fonctionnelle :
- des Ă©cosystĂšmes auto-rĂ©gulĂ©s oĂč les tokens reflĂštent de vrais flux ;
- des actifs numériques dynamiques, qui évoluent selon des paramÚtres réels (activité, rareté, production) ;
- une interconnexion entre les projets, pour que la valeur circule au lieu de stagner.
Câest le passage du NFT-objet au NFT-systĂšme.
X. Leçons finales : la fin dâun cycle, le dĂ©but dâune maturitĂ©
Lâhistoire de Stables nâest pas un Ă©chec du Web3.
Câest la preuve que la maturitĂ© du secteur commence.
Les bulles se dégonflent, les modÚles creux disparaissent,
et les projets fondés sur une économie réelle émergent.
Ce que Stables nous apprend :
- La notoriété institutionnelle ne remplace pas la logique communautaire.
- Lâargent nâachĂšte pas la confiance.
- La gamification ne crée pas de richesse.
- Et surtout : la valeur se construit, elle ne se promet pas.
XI. Et aprĂšs ?
LâĂšre des projets Web3 âgadgetsâ touche Ă sa fin.
Les prochains gagnants seront ceux qui sauront :
- lier les NFT à des flux économiques mesurables,
- simplifier la compréhension utilisateur,
- offrir une visibilité macroéconomique,
- et revaloriser le numérique comme actif productif.
LâĂ©chec de Stables, câest peut-ĂȘtre la meilleure nouvelle du Web3 français :
il met un terme au mythe du âNFT = jackpotâ,
et ouvre la voie Ă une nouvelle gĂ©nĂ©ration dâactifs intelligents et transparents.
âïž Conclusion : de la chute Ă la renaissance
En autopsiant Stables, on dĂ©couvre moins un accident quâun symptĂŽme :
celui dâun Ă©cosystĂšme encore adolescent, cherchant Ă concilier jeu, finance et technologie sans toujours comprendre leurs Ă©quilibres internes.
Mais de cet échec peut naßtre une intelligence nouvelle :
celle dâune Ă©conomie numĂ©rique responsable, traçable et productive,
oĂč chaque token reflĂšte une action rĂ©elle,
et oĂč la valeur ne se joue plus â elle se construit.




